Pourquoi devrions-nous valoriser nos traditions, nous y ressourcer et en être fiers ?

« Nos ancêtres n’ont rien apporté à l’humanité » ; « nos traditions n’ont servi à rien et sont totalement inutiles » ; « nous devrions tourner le dos à toutes les pratiques ancestrales » ; « certaines de nos valeurs sont obsolètes et hors de propos dans la modernité », et la liste se poursuit… Ce sont là des expressions qui sont devenues banales dans le quotidien d’un grand nombre d’africains parmi les plus instruits.

Obnubilés par la civilisation occidentale, pris au piège d’un système conquérant, éberlués par le conditionnement des savoirs d’outres-cieux, nombre d’intellectuels se croient investis d’une mission salvatrice au nom de laquelle ils devraient éclairer les « masses analphabètes » de leur “sagesse universelle”. L’ironie de cette prétentieuse posture, c’est que près de 80 ans après les indépendances de nos pays, et en dépit de leurs laborieuses entreprises messianiques, force est de constater que la situation de nos pays ne s’est guère améliorée.

Alors que les pays comme la Chine ou le Corée du sud avaient le même niveau de développement que nous dans les années 1950, plusieurs décennies après, nous peinons à obtenir le dixième de leur productivité. Il n’est point besoin d’être un savant pour conclure que les thérapies qui ont été expérimentées toutes ces années ne sont pas à la hauteur des défis. Le mal n’est pas à rechercher seulement dans le manque de volonté politique, encore moins dans le niveau endémique des pratiques déviantes de la corruption. Il se trouve selon nous dans l’ignorance honteuse de nos intellectuels qui, non contents de méconnaître leur propre culture, histoire et potentialités, tentent vainement de mettre en œuvre des solutions pâles-copies de ce qu’ils ont vu ailleurs et qui ne sont en rien adaptées à nos réalités.

Dans tous les domaines qui régissent la vie dans la cité, des parodies d’institutions, de législations et d’organisation de la vie politique et sociale ont été implémentées sans considération aucune du macrocosme culturel et des spécificités sociologiques qui gouvernent les relations entre les individus. Poursuivant dans la droite ligne de l’héritage décevant qu’ont laissé les colons, tout exercice qui s’est apparenté à un simple jeu de chaise musicale entre les envahisseurs “méchants” et des intellectuels supposés “gentils” mais parlant le même langage que ceux qu’ils ont chassés.

A la vérité, aucune initiative de restauration des vraies valeurs et des principes fondateurs qui ont prévalu avant la mise sous tutelle de nos royaumes, n’a été envisagée. L’obsession à mimer les pratiques découvertes dans le nouveau monde a pris le pas sur la nécessaire démarche de retour aux sources pour bâtir les jeunes Nations sur la base de postulats endogènes particuliers. Les combats identitaires et nationalistes ont éclipsé les véritables travaux philosophiques qui devraient constituer les soubassements idéologiques des républiques naissantes. En reniant leurs traditions et en les cantonnant dans des rôles secondaires dans l’administration des pays, nos intellectuels ont commis des erreurs de lèse-ancêtres. A partir du moment où ils ont tourné le dos à leurs propres origines et qu’ils ont été conditionnés par le biais du système éducatif à mettre sur un certain piédestal les us et coutumes venus d’ailleurs, ils étaient tout aussi disposés à épouser, sans aucun esprit critique, les modes de vie et à adopter les formes de pensée des autres comme s’ils étaient les nôtres.

L’étendu de cette acculturation est aisément observable dans les références sur lesquelles se bases les idéologies qu’ils défendent. Alors que dans la plupart des grands pays, les politiques publiques et les idéologies dominantes sont le fait d’intellectuels nationaux fins connaisseurs des singularités locales, dans nos pays, les nôtres ont systématiquement adopté tous les modes de pensée qui leur ont été présentés comme universels, et les ont imposés à nos populations comme des sortes de panacées prescrites par les dieux. C’est du moins le spectacle affligeant qui s’est produit chez nous au Bénin lorsque quelques illuminés croyant bien faire leurs devoirs et se sentant armés d’un patriotisme à la limite du chauvinisme, nous ont imposé une idéologie d’outre-mer : le marxisme-léninisme.

Comme pour défendre un idéal divin, protéger les plus faibles, la révolution idéologique de 1974 s’est très tôt muée en une entreprise totalitaire comme cela a été le cas dans la plupart des Nations qui ont empruntés ce chemin. Même le grand Mao chinois ne manquait pas de dissuader, à mots couverts, les nouveaux dirigeants africains d’une application aveugle de la doctrine marxiste, lui qui avait d’ores et déjà engagé une politique éclairée et insidieuse pour s’extirper de la collectivisation en cours dans son pays.

Le crime de l’élite n’est pas tellement de s’être laissée emporter par la haine du colon en allant à l’encontre de leur idéologie dominante pour adopter celle de leur plus grand protagoniste, l’URSS. Leurs crimes, c’est de n’avoir pas su rechercher dans nos propres traditions, histoires et cultures, les fondements idéologiques susceptibles de nous mener à la prospérité sans se faire les apôtres d’une idéologie importée. Les errements totalitaires qui ont succédé à la période d’instabilité politique de l’après indépendance, n’ont finalement fait que retarder la marche vers le progrès que nous aurions pu réaliser en adoptant simplement le “Ghézoisme”.

Contrairement à ce que s’imaginent la plupart des gens, la force de la pensée philosophique ne se retrouve pas seulement dans la littérature écrite. Elle peut être recherchée également dans les actes concrets que posent les individus et qui ne sont que la matérialisation de leur particularisme idéologique. Ghézo, roi du Dahomey qui régna pendant 40 ans au 19è siècle, taxé par les colons de barbare et sanguinaire, portait pourtant une idéologie. Tout au long de son règne et des interminables conquêtes, le fil conducteur a toujours été de magnifier le royaume, d’engranger d’énormes ressources grâce au commerce et de développer l’agriculture. La parabole de la jarre trouée que nous lui devons traduit à elle seule la pensée fondatrice qui devait continuer à être exploitée. Au-delà de quelques symboles et monuments, cette simple réflexion, rattachée à l’histoire du souverain pouvait servir de source d’inspiration pour les élites au lendemain de l’indépendance.

Malheureusement, les querelles d’égos et les bassesses régionalistes ont laissé peu de place à la mise en place d’une véritable dynamique de développement à partir de 1960. Trop occupés à se substituer aux colons et à trouver l’équilibre dans l’administration de la nouvelle république caractérisée par la grande diversité de ses peuples, les dirigeants ont finalement fait plus de politique que d’économie. Et alors même que le calme est revenu une dizaine d’années plus tard avec la prise de pouvoir de Kérékou, officier formé à l’école de guerre en France, le déracinement ne s’en est trouvé qu’exacerbé. En déclarant la guerre aux pratiques ancestrales et en faisant de la chasse aux sorcières une politique de modernisation du pays, le nouveau Chef a raté l’occasion de canaliser toutes les énergies existantes vers des desseins supérieurs de développement de la cité.

Notre conviction est que la méconnaissance et la diabolisation systématique de nos traditions traduit également une incapacité à conduire les peuples concernés vers la prospérité en les forçant à se défaire de leurs pratiques. Tout comme on ne peut décemment faire le bonheur d’une personne contre sa volonté, l’échec de ces “inquisitions” en dépit de la férocité des campagnes, nous donne raison. En effet, pour mauvaise que puisse être l’utilisation faite de certaines connaissances si intensément diffusées et appliqués, savoir les apprivoiser et les orienter avec tact et volupté vers des usages plus utiles, aurait été plus profitable pour tout le pays.

Le propos ici n’est pas de favoriser la diffusion de quelque pratique occulte, ni d’encourager les populations à adopter des pratiques qu’elles ont abandonnées de longue date et vers lesquelles elles ne sont pas disposées à retourner. Loin de nous une telle réflexion. La subtilité que nous tâchons de souligner est que bien souvent les connaissances utiles pour le développement sont imbriquées dans des pratiques pour lesquelles nous avons été conditionnés à marquer une répugnance sans appel. Les résidus de connaissances qui sommeillent, improductives, dans les rites cultuels dans nos contrées suffisent pour changer des paradigmes de développement de nos pays sans qu’il y ait besoin que nous allions recourir à des experts pour nous proposer des solutions non adaptées à nos conditions et à nos mentalités. Le seul défi est aujourd’hui de pouvoir mobiliser ces connaissances et les utiliser plus conséquemment pour l’intérêt supérieur de la Nation, sans que cela ne porte nul préjudice au principe de la laïcité. C’est du moins notre conviction…

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