Il importe de séparer le blé de l’ivraie en recentrant le débat. La question de l’avenir du CFA ne se pose pas en termes de la continuité ou pas des relations diplomatiques ou commerciales entre les pays de la zone franc CFA et la France. Ce n’est non plus une question de rivalités éventuelles entre les citoyens moyens que ce soit en France ou dans un pays Africain de la zone CFA. Il se passe qu’une élite Française qui a des intérêts commerciaux à travers le Continent Africain contrôle les dirigeants Français et la politique extérieure du pays. Aussi, cette élite est de connivence avec une élite Africaine (y compris certains de nos chefs d’Etats et les dirigeants de certaines institutions d’envergure nationale et régionale) qui profitent de la situation, au détriment du people qui croupit dans la misère. Dans une telle situation, une bonne question est de savoir si le franc CFA constitue un instrument réel de développement pour les peuples d’Afrique Francophone.
Le franc CFA est actuellement utilisé par 155 millions de personnes dans 15 anciennes colonies Françaises d’Afrique depuis 1945 où les accords de Bretton Woods ont été signés à la fin de la 2ème Guerre Mondiale. Plus précisément, la zone franc inclut d’une part le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA); et d’autre part le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, la République Démocratique du Congo, la Guinée Equatoriale et le Gabon de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC); ainsi que les Comores (quoi qu’appelée Franc Comorien, la monnaie du Comores suit le même principe que les autres monnaies CFA). Originellement dénommé «Colonies Françaises d’Afrique», le terme CFA devient «Communauté Financière Africaine» dans l’UEMOA et la «Coopération Financière en Afrique Centrale» dans la CEMAC depuis les indépendances. Ainsi, la zone CFA comprend trois (03) banques centrales Africaines: la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque Centrale des Comores.
Comment fonctionne le système CFA donc ? D’abord, la France a des représentants dans chacune des trois (03) banques centrales Africaines sus citées. Ces représentants portent un regard vigilant sur les décisions prises au sein des banques centrales. D’après le gouverneur de la BCEAO, Koné, dans une interview avec Alain Foka ce n’est pas le cas. Il faudrait appuyer cette affirmation avec les statuts du Conseil d’Administration à citer en référence]. A part cela, le fonctionnement du système repose sur les quatre piliers que voici:
- Le compte d’opérations: Ceci consacre la centralisation des réserves de change Africaines en France. Les banques centrales Africaines doivent déposer 50% de leurs réserves de devises étrangères dans un compte courant auprès du Trésor Français. En contrepartie, la France garantit la libre convertibilité de la monnaie ;
- La libre convertibilité du franc CFA en franc Français (puis en Euro) ;
- La fixité des parités au franc Français qui a été remplacé par l’Euro depuis 1999 (1 euro = 655,957 francs CFA), et ;
- La libre transférabilité des capitaux de la zone franc CFA vers la France.
Le débat “Pour ou contre le maintien du CFA” est souvent passionné et obscurci par les émotions. Ceci se justifie du fait que le souvenir du passé colonial douloureux reste ancré dans la mémoire collective Africaine. Nombre d’intellectuels ont dénoncé les méfaits de la politique Francafrique qui continue de créer des dégâts sur le Continent. Pour ne citer que deux exemples récents, il y a eu l’élimination physique du dirigeant Libyen (Colonel Kadhafi) et l’intervention militaire de la France en Côte d’Ivoire qui a précipité l’enlèvement manu militari de l’ancien chef d’Etat Ivoirien Laurent Gbagbo du pouvoir. Mais, peut-être le fait le plus flagrant est que le franc CFA demeure “la dernière monnaie coloniale encore utilisée”. Ceci dit, il convient de dépassionner le débat afin de faire une analyse rationnelle de la situation.
Tout d’abord, le principe du compte courant encourage la thésaurisation des ressources Africaines en France sous le prétexte d’une soi-disant “stabilité” monétaire que la France garantirait aux ex-colonies. Peut-il vraiment y avoir stabilité si la France (et le FMI) peuvent décider unilatéralement la dévaluation du franc CFA? Si stabilité il y avait, quel en serait le prix pour l’économie Africaine ? Par exemple, quel est le coût d’opportunité des ressources Africaines déposées dans les comptes du Trésor Français (ex., les occasions manquées pour le financement de projets de développement, les intérêts sur les dépôts)? A qui est-ce que le système profite réellement: l’Afrique ou la France?
Ensuite, la politique de taux fixe est problématique. Le franc CFA n’est pas côté sur les marchés des changes et il n’est convertible qu’en Euros. Aussi, ce mécanisme ne convient plus aux pays de la zone franc CFA, la consommation intérieure étant devenue le moteur de la croissance économique dans cette zone. Au fait, l’arrimage à l’Euro avec un taux fixe fait du franc CFA une monnaie “forte” de facto. Ainsi que Bruno Tinel (Maître de conférences HDR en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) l’explique, «En effet, étant aussi bon que l’Euro, le CFA est une monnaie forte pour des économies faibles. Il rend les importations des Pays Africains de la Zone Franc (PAZF) en biens manufacturés très peu chères, si bien qu’il n’est pas profitable de produire ces biens sur place. Une monnaie forte confère en outre un désavantage en matière de compétitivité prix à l’export, ce qui ne stimule pas non plus le développement de filières manufacturières exportatrices. C’est ainsi que les PAZF perpétuent leur spécialisation dans l’exportation de biens primaires et éprouvent les plus grandes difficultés à simplement assurer leur propre sécurité alimentaire.» Le système franc CFA bénéficie donc à la zone pour les importations, mais pénalise lourdement les économies locales (en réduisant leur compétitivité) quand il s’agit de l’exportation des produits tels que le café, le cacao et le coton qui se vendent en dollars sur les marchés internationaux. En un mot, le système CFA encourage l’importation et décourage l’exportation qui devrait permettre aux 15 pays de la zone d’engranger des devises extérieures.
Troisièmement, le système CFA suscite des questions fondamentales d’autonomie, de souveraineté et de responsabilité des institutions Africaines quant à la gestion de leurs affaires internes. La monnaie qui est utilisée uniquement dans 15 pays d’Afrique est fabriquée hors du Continent, en France. Dans un scénario extrême, l’on pourrait se demander ce qui adviendrait aux économies locales, si la France décidait de ne plus imprimer des billets CFA? Les pays de la zone franc CFA n’ont-ils pas la capacité d’imprimer et de sécuriser leurs propres monnaies?
Sur cette même lancée, le fait que des représentants Français siègent dans les banques centrales Africaines est également problématique. Dans quels intérêts agissent ces représentants? Cette question est d’autant plus importante que l’activité économique locale dépend fortement de la performance du secteur bancaire. Par exemple, les taux d’intérêts aux emprunts accordés par les banques commerciales sont indexés en grande partie par les taux directeurs que fixent les banques centrales. Aussi, les banques commerciales comptent sur les banques centrales pour le refinancement de leurs portefeuilles. Qui prend donc ces décisions cruciales dans les banques centrales Africaines? Pourquoi est-ce que des agents non-Africains devraient être impliqués?
Le Franc Français lui-même a laissé place à l’Euro depuis près de 20 ans, en intégrant l’union économique et monétaire régionale communément appelée la Zone Euro. Ce geste se comprend aisément, vu le contexte économique global marqué de plus en plus par une concurrence féroce. On est donc en droit de se poser la question suivante: si la France juge opportun de laisser sa monnaie pour une monnaie régionale, commune avec ses voisins, pourquoi les pays d’Afrique ne devraient pas emprunter le même chemin en créant leur propre monnaie régionale ? De plus, une telle monnaie ne devrait-elle pas se focaliser sur la convergence des intérêts économiques et sociaux régionaux, plutôt que sur l’existence d’une langue commune (le Français) ou d’un passé colonial commun ?
La question fondamentale que l’on est en droit de se poser est la suivante: l’actuel franc CFA appartient-il aux Africains ou à la France ? Si le système actuel ne profitait pas à la France, pourquoi continuerait-elle à la défendre bec et ongles?
Au plan émotionnel pour les Africains, le franc CFA est un rappel du passé douloureux de la colonisation, à l’image des statues de la confédération aux États-Unis. Le sort du CFA est décidé par la France, ainsi qu’en témoigne la dévaluation intervenue en 1994. Le maintien de représentants Français au sein des banques centrales d’Afrique assure la mainmise de la France sur les politiques monétaire, financière et de développement des pays de la zone CFA. Lorsque les manifestations populaires contre le Franc CFA ont commencé par prendre de l’ampleur, c’est aussi en France que le président ivoirien Ouattara (la Cote d’Ivoire est le moteur économique de l’UEMOA et de la Zone Franc) est parti pour consulter le président Macron de la France sur la position à adopter sur la question ainsi que sur la candidature du Maroc pour la CEDEAO (candidature qui a d’ailleurs été acceptée et entrera en vigueur en Décembre 2017).
La monnaie est un outil important de développement, et ne devrait pas être laissée au bon vouloir de forces étrangères. Par exemple, les avoirs Africains dans les comptes du Trésor Français peuvent servir à financer des investissements nécessaires et cruciaux en Afrique. Le développement a besoin de financements importants dans des secteurs clés tels que les infrastructures de transports, la télécommunication, la santé et l’éducation.
Le système CFA soulève des questions évidentes d’autonomie, d’indépendance et de souveraineté des instances dirigeantes Africaines dans la gestion de leurs affaires internes. Le système actuel insulte tout simplement l’intelligence des Africains et asservit le peuple. Confrontés à ces questions épineuses, nos dirigeants Africains pratiquent la langue de bois, ou pire, la politique de l’autruche. Par exemple, en niant l’évidence pour se présenter en bons élèves du “maître”, P. Talon du Bénin et A. Ouattara de la Côte d’Ivoire ont épousé la position Française récemment. Au cours de son intervention sur l’émission “Le Débat Africain” de la Radio France Internationale (RFI) du dimanche 16 avril 2017, le président Talon a affirmé que le CFA est un instrument de stabilité. Dans un passé plus récent, le président Ouattara a émis une déclaration conjointe avec le président Macron de la France non seulement faisant l’éloge de la devise, mais souhaitant même que la zone CFA soit modernisée et élargie.
Quelle approche de solution est-ce que j’entrevoie? L’Afrique doit prendre sa destinée en main au plus tôt en créant et en gérant sa propre monnaie. Il pourrait y avoir plusieurs monnaies sous régionales (par exemple une monnaie pour la CEDEAO, la CEAC) ou une monnaie continentale sous l’égide de l’Union Africaine. Cette proposition est réaliste, vu que des idées similaires circulent déjà dans certains cercles. La ZMAO est un exemple de proposition de devise pour la Zone Monétaire Ouest Africaine (qui inclut la CEDEAO). Elle est prévue pour entrer en circulation à l’horizon 2020.
La nécessite et la faisabilité d’une monnaie unique pour l’Afrique ou de monnaies régionales Africaines sont d’autant plus palpables que le poids des échanges commerciaux entre la zone CFA et des pays non Européens (tel que la Chine) va grandissant. Aussi, les pays anglophones d‘Afrique utilisent déjà leurs propres devises (au lieu de la Livre Sterling de la Grande Bretagne). Le Nigéria et le Ghana offrent deux bons exemples en Afrique de l’Ouest. Les cas foisonnent en Afrique de l’Est et du Sud. L’Ethiopie utilise sa Birr; le Kenya, la Tanzanie et l’Uganda ont leur Shilling; le Rwanda possède son franc Rwandais (indépendant de la France); la Zambie a son Kwacha; l’Afrique du Sud utilise son Rand; pour ne citer que ces quelques cas. Même en Afrique Francophone, quelques pays possèdent leurs propres monnaies. En Afrique du Nord, nous avons le dirham Marocain, le dinar Tunisien et la Livre Egyptienne, par exemple. La Guinée Bissau a créé sa propre monnaie depuis 1959. Force est de constater qu’en règle générale, les pays anglophones d’Afrique et ceux de l’Afrique du Nord jouissent de meilleurs indicateurs de développement économique. Quelle est donc la particularité des 15 pays francophones de la zone franc CFA? Pourquoi ne devraient-ils pas prendre leur destinée en main également?
Si dans un élan de «servitude volontaire» la plupart des pays qui se trouvent actuellement dans la zone CFA avaient choisi de rester dans ce système après les indépendances, alors ces mêmes pays peuvent décider de corriger le tir avant qu’il ne soit trop tard. Même au sein de la classe politique Française, il y a un désaccord au sujet de l’utilité et du rôle du franc CFA en Afrique. Par exemple, Marine Le Pen qui est membre du parlement Européen, leader du parti politique d’extrême droite Front National et candidate au deuxième tour des dernières présidentielles françaises, ne cache pas ses critiques du CFA.
La situation des pays de la zone franc CFA est comparable à des “enfants” âgés de plus de 60 ans qui continuent d’être nourris au lait maternel. A mon humble avis, la question de l’avenir du franc CFA n’est pas s’il faut quitter la zone. C’est plutôt comment quitter au plus tôt et prendre notre destinée en main. Il est grand temps que le CFA retrouve sa vraie place: dans un musée historique quelque part en Afrique! Quel est votre avis sur la question?