Consommons Local : Une Condition Sine Qua Non Pour Un Développement Endogène du Bénin
Il urge que nos pays d’Afrique (le Benin en particulier) embrassent une approche endogène de leur développement. L’UNESCO reconnait que le développement doit être endogène car pour se développer, une société doit rester elle-même, puiser ses forces dans sa culture et dans les formes de pensée et d’action qui lui sont propres. Il doit ainsi devenir une réalité de transformation permanente du système social dans toutes les sociétés, qu’elles soient industrialisées ou en développement [1]. Le développement endogène ou autocentré est un paradigme de développement territorial, développement ‘from below’ (partant du bas), s’opposant au développement fonctionnel et ’up-down’ (partant du haut) qui fondait les pratiques antérieures. Le développement endogène débouche sur le développement intégré, c’est-à-dire le contrôle local de la vie économique [2]. Dans cet article, nous présentons le concept du “consommons local” comme stratégie indispensable pour le développement endogène du Benin. Nous discutons des idées concrètes pour mettre cela en œuvre.
- La situation actuelle
Nous avons le regard tourné vers l’extérieur. Nous valorisons plus ce qui vient de l’extérieur, surtout de l’Occident, que ce que nous avons chez nous. Ce leg du passé colonial continue de nous hanter et de nous arriérer chaque jour. Cette manie nous coûte les yeux de la tête et la peau des fesses, donc nous devons absolument nous en départir afin d’avancer.
Le Benin dépense des milliards de FCFA par an pour importer des biens de l’extérieur. Par conséquent, la balance commerciale du pays est restée déficitaire depuis 1960, date de notre indépendance politique reçue de la France (voir Figure 1). Selon les statistiques de la Banque Mondiale, le taux moyen de déficit de notre balance commerciale en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) a été de -9.71% entre 1960 et 2018 [3]. Pour référence, le PIB du Bénin était de 14,25 milliards $ US en 2018 avec une moyenne de 3,66 milliards $ US entre 1960 et 2018 [4]. La balance commerciale est une composante de la balance des paiements du pays qui fait ressortir le solde des importations et des exportations de marchandises. Une balance négative indique que nos importations dépassent en valeur nos exportations. Selon l’organisation mondiale du commerce (OMC), les importations du Bénin se sont élevées à 6,52 milliards $ US en 2018, y compris 4,07 milliards $ US pour les biens et 2,45 milliards $ US pour les services [5].
Nos importations intempestives nous appauvrissent et enrichissent les pays étrangers. Ceci se fait par plusieurs mécanismes. Par exemple, le Bénin doit acquérir des devises étrangères à un coût exorbitant pour financer nos importations. Vu que nos principaux fournisseurs pour l’essentiel n’utilisent pas le FCFA, nous devons acheter des dollars, des euros, des yuans, des roupies, etc., afin de payer pour ces marchandises et services importés.
Nos importations soutiennent le développement économique dans les pays étrangers, au détriment du notre. Par exemple, nous pourrions créer des emplois au Bénin si nous produisions ces biens et services sur place. Il y a toute une chaîne de création de valeur allant de la production des produits bruts à celle des produits finis que nous mettons en branle lorsque nous produisons des bien chez nous. Prenons le jus d’ananas en bouteille recyclée comme étude de cas et essayons d’imaginer toute la série d’activités économiques depuis les champs des paysans à Allada aux vendeurs de produits finis, en passant par les transporteurs, les petites entreprises qui transforment l’ananas, les bonnes dames qui ramassent et recyclent les bouteilles, etc. Nous délocalisons tous ces emplois, chaque fois que nous achetons des produits de l’étranger.
C’est donc sans grande surprise que le Bénin fait face à certaines performances sociales non reluisantes. Les statistiques actuelles de l’INSAE révèlent que le taux de sous-utilisation de la main d’œuvre est de 19,9% et le taux d’emplois vulnérables ou part des travailleurs propre compte et travailleurs familiaux est de 76,4% dans nos centres urbains [6]. Le revenu moyen mensuel par tête n’est que de 74.342 FCFA dans nos centres urbains et seulement de 58.917 FCFA dans les zones rurales, selon la même source. Mais nous pouvons changer la donne en consommant local !
- Le consommons local en pratique
L’adoption large du “consommons local” va booster la demande pour la production locale, accroitre la demande du label “made in Benin” à l’extérieur et améliorer l’image du Bénin dans le reste du monde. Nous proposons de promouvoir le consommons local à travers les noms de nos enfants, l’habillement, la nourriture, la valorisation de la beauté authentique de la femme Noire, notre patrimoine vodoun et l’achat des produits manufacturiers créés dans la sous-région.
2.1. La promotion de nos noms traditionnels
Nous préférons appeler nos enfants par des noms étrangers, surtout Européens ou Américains (voir Tableau 2 en Appendice). Nous le faisons, quand bien même ces prénoms importés sont dénués de tout sens dans notre culture locale. Certains d’entre nous vont jusqu’à fusionner les prénoms occidentaux des géniteurs pour former des mots à peine prononçables que nous donnons à nos enfants. Cet état de chose doit changer si nous voulons que nos enfants grandissent avec la fierté d’être Noirs, Béninois et Africains. Il y va de la préservation de leur dignité humaine et de leur estime de soi. Ce n’est pas un fait du hasard que les nations telles que les Etats Unis, la Chine, l’Inde et la France attribuent des prénoms typiquement traditionnels de chez eux a leurs enfants. Pour une liste de prénoms Béninois authentiques et leur signification, veuillez consulter “Annexe : Signification des prénoms endogènes Béninois” sur le site https://fr.wiktionary.org/ [7].
2.2. Le vestimentaire
Nous sommes la plupart du temps habilles à l’européenne sur nos lieux de travail, pour les manifestations sociales importantes et même lorsque nous sommes à la maison. Il est coutume de nous voir circuler en veste-cravate sous le soleil ardent. Sans occulter l’importance de soigner notre image personnelle à travers notre vestimentaire, il est préférable de le faire en célébrant notre culture et nos valeurs traditionnelles. Le premier gouvernement du Dahomey formé par le président Hubert Coutoucou Maga nous en a donné l’exemple palpable mais nous avons plutôt opté pour nous occidentaliser au fil du temps.
Le Bénin étant devenu le premier pays producteur de coton en Afrique avec plus de 700,000 tonnes obtenues pendant la campagne 2018-2019, nous avons la matière première à disposition pour fabriquer le tissu et nous habiller [11]. Il nous faut arrêter de dépenser des milliards de FCFA chaque année pour importer le Wax Hollandais d’Europe et autres tissus des pays d’Asie. Nous devons transformer notre production cotonnière sur place, plutôt que de nous contenter d’exporter la matière première à vil prix. Vivement que le projet de construction d’une nouvelle usine de textile a Sèmè Kpodji voit le jour sans plus tarder ainsi que d’autres entreprises similaires [12].
L’autre filière que nous devons développer est celle du tissu kanvo pour la consommation aussi bien nationale qu’internationale [13]. Le défilé de mode organisé à l’occasion de la fête de l’indépendance en 2017 prouve bien que ce tissu local peut satisfaire le goût des agents économiques, y compris les plus exigeants [14]. Le génie créateur de nos tisserands, stylistes, couturiers et couturières peut produire le tissu kanvo avec des motifs et tenues multiples pour divers besoins professionnels ou personnels.
2.3. L’alimentaire
Le Bénin est doté d’une cuisine locale riche qui varie énormément d’une région à une autre. Que ce soit pour le petit déjeuner, le déjeuner ou le dîner, il y a toute une panoplie d’options disponibles pour un repas local à base de graines (e.g., mais, riz, mil, sorgho), de tubercules (e.g., igname, patate), de feuilles (e.g., légumes) ou de fruits (e.g., banane) (voir Figure 5). Le choix d’une source de protéine peut se faire dans un large éventail d’options : bovins, caprins, poissons et fruits de mer, rongeurs, volailles, etc. De plus, nous disposons de plusieurs fruits tropicaux pour accompagner les repas : coco, orange, mangue, ananas, banane, baobab, etc. La transformation artisanale se fait en jus pour plusieurs de ces fruits (voir Figure 6). Veuillez visiter le lien http://pleindepices.com/category/plats-du-benin/ pour un répertoire de plats traditionnels du Bénin [15].
2.4. La beauté authentique de la femme Noire
Il est regrettable qu’aujourd’hui, nos épouses, nos sœurs et nos filles passent un temps considérable à se déguiser afin de ressembler aux femmes Européennes. Ceci est le fait de l’ignorance. La femme Noire est la mère de l’humanité. Il a été déjà établi scientifiquement que la vie humaine a pris forme en Afrique Noire. Mieux, la civilisation humaine moderne tire ses sources de l’Afrique Noire [17]. Les sciences (e.g., les mathématiques, l’astronomie, l’architecture, la médecine, etc.), l’art, la religion, etc. ont été inventés en Afrique Noire avant de se répandre dans le reste du monde par le biais de la Grèce Antique.
Nous devons être fiers d’être Noirs, Africains et Béninois. Ceci commence par le traitement que nous faisons de notre propre corps. Le corps humain est le temple du divin, ainsi que plusieurs religions l’enseignent. Le corps de la femme est particulièrement sacré ; la femme qui porte la vie en son sein. La tête étant la partie la plus importante du corps, il convient donc de lui accorder toute l’attention requise. Pourquoi mettre des produits pétroliers sur nos têtes ? Pourquoi mettre les cheveux d’autrui sur nos têtes ? Il convient de revaloriser le port des cheveux naturels et les tresses locales. Nous devons populariser une fois encore le “zotchédoté”, le “dokô” et autres tresses Africaines que nos mamans portaient avec tant de fierté.
2.5. La promotion du vodoun
Nous devons préserver et promouvoir notre riche patrimoine culturel. Le vodoun est la création originale du royaume de Danhomè depuis le XVIIe siècle [20]. Le vodoun a servi comme la principale fondation sociale, spirituelle et religieuse en Afrique de l’Ouest avant l’introduction de l’influence de l’Occident (Figure 9). Le vodoun est notre patrimoine, notre culture et notre façon d’être.
Nos frères Haïtiens ont pris le vodoun avec eux jusque dans les Caraïbes. Ils font l’éloge de la spiritualité du voudoun qui a été à la base de la libération de leur pays. Les Haïtiens ont battu Napoléon Bonaparte de France pour faire de Haïti la première nation Noire libre du monde Occidental depuis 1804 [22].
L’Occident présente le vodoun comme le culte du diable. Hollywood a créé une image très négative du vodoun dans l’esprit du monde entier [23]. Le Bénin a déjà consacré le 10 janvier comme la fête nationale des religions traditionnelles, à travers la loi n° 97-031 du 20 Aout 1997 [24]. Notre compatriote et acteur célèbre Djimon Houssou a recemment publie un film-documentaire sur le vodoun qui est intitule “In Search of Voodoo : Roots to Heaven” pour éduquer le monde [25]. Ce movement doit continuer. Nous devons faire plus bien plus pour célébrer le vodoun et le vendre au reste du monde. Personne ne le fera à notre place.
2.6. L’automobile et l’électronique
L’Etat Béninois maintient un parc automobile impressionnant. Il en est de même pour les ordinateurs et autres appareils électroniques avec lesquels l’administration est équipée. En attendant de commencer à fabriquer les voitures et produits électroniques au Bénin, achetons-les dans la sous-région. Par exemple, la société Kantanka fabrique des véhicules de toutes gammes et des appareils électroniques au Ghana [26]. Il y a aussi plusieurs véhicules “made in Nigeria” dont nous pouvons nous procurer chez le géant d’à côté [27]. Cette réorientation de notre économie va booster les échanges entre le Bénin et les pays de la sous-région et renforcer nos liens de coopérations avec les voisins.
- Par où commencer?
L’Etat Béninois doit montrer l’exemple. Quand la tête commence, le reste du pays suivra le mouvement plus aisément. L’Etat reste le premier employeur dans le pays avec un effectif des agents estimé à 72.285 en 2018 [29]. Aussi l’administration occupe une place prépondérante dans la dette totale du Bénin. La BCEAO estime ceci à 58,4% en octobre 2019 [30]. Tout ceci signifie que l’Etat dispose d’un potentiel énorme pour influencer le mouvement du consommons local.
La promotion du consommons local doit être fait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Bénin. La promotion interne peut s’accentuer sur l’administration publique, la présidence et le gouvernement, les élus du people, les ministères, les fonctionnaires publiques, le judiciaire, les forces de l’ordre (e.g., militaires, policiers et gendarmes), etc. Nous pouvons ensuite convaincre le prive de joindre le mouvement, que ce soit dans les secteurs de la banque, la télécommunication, l’assurance, le transport et logistiques, etc. Toute personne vivant au Bénin ou visitant le pays peut être encouragé à manger et porter du local. Les travailleurs doivent porter du local du lundi au vendredi. La nourriture locale sera consommée pendant toutes les séances de formation dans l’administration publique : colloques, séminaires, etc.
Quant à la promotion à l’extérieur, le Bénin peut se servir des missions à l’étranger, les ambassades et la diaspora. Le Bénin comptait à peu près 2.935.600 personnes vivant à travers le reste du monde en 2006 [32]. Ce beau monde peut être mobilisé pour promouvoir les richesses culturelles de notre cher pays. Pourquoi est-ce que nos représentants ne s’habillent pas à l’Africaine quand ils voyagent à l’étranger sur fonds publiques ? Ces missions diplomatiques sont des occasions rêvées pour vendre le label Benin. Le président Dieudonné Soglo nous donne un bel exemple en la matière (voir Figure 12).
L’Etat Béninois a aussi un rôle très important à jouer dans la promotion de notre patrimoine vodoun. Nous proposons que le Bénin adopte désormais la devise du “Pays du vodoun”. Ceci va figurer en lettres dorées à l’aéroport Cardinal Bernardin Gatin pour souhaiter la bienvenue tant aux filles et fils du pays que les étrangers qui nous rendent visite. Cette devise sera aussi inscrite sur les sites web des institutions publiques. Le vodoun devrait être enseigné dans le curriculum scolaire, de la maternelle au supérieur. Tout Béninois devrait par exemple maitriser l’art divinatoire du Fâ. La promotion du vodoun nous offre une opportunité énorme de développer le tourisme. Ceci nous permet aussi de vendre le label Bénin.
- Conclusion
Dans ce court article, nous avons fait un plaidoyer pour que le Bénin embrasse une logique endogène ou autocentrée pour son développement. Nous pensons que ceci est une condition sine qua non pour que notre pays amorce un processus de développement véritable, ainsi que le peuple en rêve depuis l’accession à la souveraineté nationale en 1960. Nous avons fait des suggestions pratiques pour opérationnaliser le concept du “consommons local” qui doit servir de socle du développement endogène. Les idées tournent autour des points saillants que sont les noms des enfants, l’habillement, la nourriture, la valorisation de la beauté authentique de la femme Noire, notre patrimoine vodoun et l’achat des produits manufacturiers créés dans la sous-région. L’Etat Béninois a un rôle prépondérant à jouer pour enclencher ce processus.
Le Bénin ne peut pas se développer véritablement tant que nous n’allons pas nous revaloriser nous-mêmes, créer un grand amour propre et cesser de vouloir ressembler aux occidentaux. Ceci ne veut pas dire que nous n’allons pas coopérer avec d’autres peuples ou cultures, mais nous ne devons pas le faire au détriment de notre identité culturelle.
Les langues écrites et parlées constituent un aspect important que nous avons occulté dans cet article. Notre pays devra aussi faire face à cette réalité tôt ou tard. Car la langue est plus qu’un moyen de communication ; c’est tout un système de pensée et de valeurs. Nous devons emboiter les pas au Sénégal qui a fait du Wolof sa langue officielle depuis 2016. Nous devons parler nos langues Africaines au niveau de l’éducation, de la recherche et de l’administration.
Nous devrons aussi refondre notre système éducatif pour se focaliser sur notre propre histoire et les besoins de développement du pays. Le vrai développement commence par la valorisation de soi-même. Nous devons nous prendre au sérieux pour que le reste du monde le fasse également. Ceci commence par l’image que nous projetons de nous-mêmes et nos choix de consommation de tous les jours.
Trouvez l’article complet et les references sur notre blog: Consommons Local